Le raku, une révolution comme on les aime
- La céramique d'artistes : ses origines
- Après Picasso : la fidélité à la faïence
- Le grès sauvage, triomphe des années 1970
- L'émail, la séduction de la couleur
- Les installations, la virtuosité
- La terre cuite, symbole d'indépendance
- Le raku, une révolution comme on les aime
- La ronde-bosse, la figuration en question
- Le décor, encore et toujours
Le début des années 1980 fut marqué par une révolution céramique. Elle se fit en même temps que l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Pour les céramistes, elle fut libératrice. Le « passage de l’ombre à la lumière » se fit étrangement par l’abandon de la dictature du grès, grâce à la découverte d’une nouvelle technique, celle du raku. Fini le terreux, le marron, le terne. Place aux couleurs les plus transparentes, les plus gaies. Le raku permit de redécouvrir les basses températures et, avec elles, le jaune paille et le rose, le lustre, en un mot le bonheur. Les « hautes températures » furent ainsi balayées par tous ceux qui les avaient pratiquées par défaut : Jacky Coville, Michel Lanos et bien d’autres qui ne demandaient qu’à découvrir leur personnalité propre. Ils en tirèrent un avantage certain : la pratique du grès, la tenace volonté d’en maîtriser les difficultés réelles, leur avait donné un savoir-faire, base nécessaire à toute expression personnelle.
Dès les années 1970, Camille Virot l’avait adoptée mais, de sa couverte crème sur une terre noire, il lui avait donné le visage de l’Afrique, où l’on pratique par nécessité les cuissons rapides : ce ne fut pas « la » révolution. Ses pièces s’inscrivaient sans peine dans la tonalité des grès de ce temps.
Le raku est bien une technique d’origine japonaise : elle permettait aux paysans de se fabriquer à moindres frais une poterie aussi vite faite que jetée, du fait de sa fragilité. À la fin du xvie siècle, des maîtres de la cérémonie du thé11. Christine Shimizu (sous la direction de), Les Arts de la cérémonie du thé, patrimoine national japonais, Dijon, Faton, 1996. la remarquèrent et obtinrent de paysans doués des efforts particuliers pour des créations de qualité, conservant néanmoins une spontanéité, gage de réussite. Ainsi, depuis cette époque, les membres de la famille Raku – le nom de cette technique est en réalité celui de ses praticiens les plus éminents, installés à Kyôto – en poursuivent la création de manière inspirée.
Cette technique consiste à façonner la pièce, à l’engober, la biscuiter à une température autour de 1 300° C, durant environ six heures, puis à l’émailler, la recuire très rapidement et la sortir du four brutalement. Si l’on veut la noircir, il faut la jeter immédiatement dans un milieu réducteur (feuillages, journaux…) : la terre en est noircie mais les émaux sont variés, brillants, aussi séduisants que possible. Si on la trouve trop obscure, on peut l’éclaircir à nouveau, au chalumeau ou au cours d’une nouvelle cuisson oxydante. La vertu de cette technique réside en sa rapidité. Pour faire une pièce en grès, il faut parfois un mois ; ici, vingt-quatre heures tout au plus suffisent.
Comme toute technique, elle n’est essentiellement ni bonne, ni mauvaise : tout vient de ce que l’on en fait.
Après le japonisme du xixe, « l’anglo-sino-japonisme » induit par l’influence de Bernard Leach, voilà que les Français découvraient une nouvelle manière de se replonger dans un nouveau bain japonais, qui leur était, de toute évidence, encore plus étranger que les précédents. Certains adoptèrent effectivement un nouveau japonisme, plus ambitieux encore que les précédents, puisque comportant une dimension spirituelle22. Cette ambition n’est pas nouvelle. Lorsque, après la guerre, la revue L’Art sacré publiait un numéro consacré à l’art japonais, c’est bien avec l’idée que cet art pourrait revivifier l’art chrétien perdu dans le goût saint-sulpicien.. Alain Vernis tend ainsi, par exemple, à recréer des imitations les plus parfaites de ces fameux bols de la cérémonie du thé. Quand le modèle est extrême-oriental, on admet toujours en Europe la posture du copiste, parce que l’on y voit une quête qui relève de la mystique. Ainsi, le céramiste Antonin-Henri de Bourbon parlait-il de « la voie du bol » et ajoutait : « lors de la cérémonie du thé, le bol circule comme une coupe de communion33. Propos recueillis par Nicole Crestou, « Antonin-Henri de Bourbon, 1937-1996, la Voie du bol », La Revue de la céramique et du verre, no 100, mai-juin 1998, p. 35. », dans un rapprochement contestable avec la messe.
De fait, l’Extrême-Orient promeut l’art de la copie avec autant de calme certitude que l’Occident ne veut reconnaître pour artistique que l’absolue nouveauté.
Réduire le raku à son origine japonaise, c’est oublier les fantaisies de l’histoire, car il n’a pas été reçu directement du Japon. En 1982, Jean Biagini, professeur à l’école supérieure des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, y fit venir l’Américain Paul Soldner qui effectua, devant deux cents personnes, une cuisson de ce type. Alors qu’il faut souvent près d’un mois pour qu’une pièce en grès émaillé se révèle à son auteur, là, en un laps de temps minime, elle fut réalisée, cuite, achevée. C’était un retour à la liberté : on pouvait tout faire, essayer, casser, recommencer jusqu’à être satisfait de son œuvre.
Le raku n’était pas un japonisme de plus. Il n’impliquait donc pas nécessairement le recueillement, il pouvait être l’expression de la création contemporaine, de la spontanéité heureuse et facile.