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Techniques de céramique Après Picasso: la fidélité à la faïence

Après Picasso: la fidélité à la faïence

Picasso avait lancé Vallauris, qui devint un lieu d’accueil pour les talents les plus divers : Roger Capron, Gilbert Portanier, Jean Derval, Robert Picault et bien d’autres bénéficièrent ainsi de son aura. Tous aimaient la couleur, l’or. Leur installation ne se fit pas sans difficulté, face aux réticences des potiers locaux. Picasso avait été reçu dans la poterie de Madoura parce qu’elle était dirigée par Suzanne Ramié, une lyonnaise d’origine, étrangère au lieu. Les potiers du cru avaient fui sa présence, sans imaginer son caractère providentiel.

En 1961, les artistes durent organiser « l’enterrement de la pièce unique » : s’emparant d’une statue en terre cuite recouverte d’encre de Chine, donc noire, L’Homme au poisson, œuvre de Raty acquise en 1996, ils la couchèrent sur un lit, entourée de cierges, et convièrent, à l’aide d’un faire-part de décès, les habitants de Vallauris pour les prendre à témoin des mauvais traitements qu’ils devaient endurer de la part des potiers traditionnels… La cohabitation entre des Vallauriens de souche et les artistes récemment arrivés ne se prolongea pas aisément.

Au demeurant, ces artistes avaient vu juste : ils étaient bel et bien défaits. Pas tant par les potiers locaux, qui ne pouvaient rien contre leur talent11. Cette époque s’est beaucoup battue pour savoir s’il était légitime de maintenir une production « artistique » ou si « l’utilitaire » devait seul avoir droit de cité., mais par l’évolution du goût. L’esthétique du grès triomphait, ils faisaient de la faïence. Ils s’adaptèrent et adoptèrent certains traits de cette esthétique, sans pour autant se trahir. Est-ce Gilbert Portanier qui eut le premier l’idée de recouvrir la terre rouge de Vallauris d’une couche d’engobe ferrugineux qui casse l’éclat de la faïence sous l’émail stannifère qu’elle contient, éclat désormais condamné par la mode ? Jean Derval produisit avec Jean-Paul van Lith (un peu plus jeune et plus récemment arrivé à Vallauris) des faïences enfumées au four à bois ; van Lith les rehaussa en outre de lustres retrouvés dans l’ancienne poterie des Massier. Chacun donnait dans un genre différent : Portanier était avant tout un peintre, un décorateur, un magicien des couleurs. Il put continuer d’exprimer sans retenue son goût pour la couleur grâce au soutien sans faille des amateurs allemands.

Jean Derval était un technicien de la céramique, fait assez particulier au milieu de ses amis, qui avaient adopté la céramique après des formations générales d’art décoratif. Sculpteur avant tout, il travaillait à la fabrique Madoura alors même que Picasso y créait ses fantaisies : nul doute qu’il ait aidé le maître à donner corps à son inspiration. Il savait tout faire et pouvait s’adapter : s’il changea plusieurs fois de types de production au cours de son existence, il ne se départit jamais de son style.

Quant à Capron, il se consacra à la fabrication manufacturée de carreaux. Son chef-d’œuvre a connut un sort fatal : ses carreaux, posés sur la façade de la gare maritime de Cannes, ont été dernièrement démontés…

Jean-Paul van Lith patienta, fit du verre, écrivit des livres, décora de la porcelaine, voyagea, créa les plus belles faïences ornées de rouge de cuivre sans se soucier des vicissitudes de la mode…

De fait, la faïence, tolérée dans le Sud, était totalement ignorée à Paris.

1. Cette époque s’est beaucoup battue pour savoir s’il était légitime de maintenir une production « artistique » ou si « l’utilitaire » devait seul avoir droit de cité.
Céramiques concernées