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© Photo RMN - M. Beck-Coppola
La céramique d’artiste apparut avec l’adoption sans réserve du japonisme, découvert lors de l’Exposition universelle parisienne de 1878 ; après la période 1900 qui vit éclore « l’art nouveau », vers 1920-1930, une nouvelle génération imposa une autre cohérence, celle de la simplicité. D’un Georges Serré, qui s’imprégnait de l’influence vietnamienne, à Émile Lenoble, qui retrouvait le goût méditerranéen pour les décors géométriques en passant par Émile Decoeur, qui a naturellement marié la perfection des grès Song à celle de la manufacture de Sèvres, tous ont créé des pièces aux formes pures, solides, dénuées de toute fioriture ; les décors s’y intègrent sans effort, la palette est souvent claire, l’émail onctueux. Le style des années 1925, aux décors floraux stylisés, leur convenait parfaitement.
Un homme, qui avait commencé comme la plupart par imiter les grès japonais, suivait un chemin personnel : Paul Beyer, qui devait s’éteindre à La Borne en 1945. Il avait adopté le grès brut de ce village austère mais bien français. Comme Chaplet vers 1880, il avait constaté que la fascination pour le grès extrême-oriental pouvait s’enrichir d’un regard pertinent sur les productions nationales de même nature. Chaplet en gagna l’audace de s’inspirer de l’Extrême-Orient, Beyer s’inspira de notre passé. Ainsi créa-t-il des objets familiers, des statuettes de saints, de paysans, des animaux de basses-cours. Il n’était pas le seul à avoir compris la leçon populaire : elle devait, soutenue par l’ambition intellectuelle d’un Georges-Henri Rivière, aboutir à la fondation du musée des Arts et Traditions populaires, après la Libération. Le galeriste et collectionneur François Guillaume, envoyant Jean Lerat à La Borne sous l’Occupation, raisonnait dans le même cadre de pensée. Constituant une sorte de passerelle avec les céramistes du xixe, Beyer a adopté le métier de potier de grès, alors qu’entre 1918 et 1945 ce métier avait eu tendance à reculer devant la concurrence, de la faïence moins onéreuse et plus facile à fabriquer.
Sous l’Occupation allemande, les céramistes continuèrent à travailler : les destructions rendaient leurs œuvres nécessaires, mais ils ne purent rien faire d’autre que prolonger les modes antérieures à 1939. À la Libération, un vent de bonheur souffla, attisé par un artiste exceptionnel : Pablo Picasso. On sait que celui-ci découvrit Vallauris en 1946, y retourna en 1947 et s’y installa autour de 1950, portant tout son intérêt à la céramique. Installé dans l’atelier Madoura, il s’empara de la terre comme il le fit de tant d’autres matériaux, il la décora avec son immense talent de peintre, la détourna afin d’en faire « du Picasso », prenant des lastres (plaques de terre qui servent à soutenir les pièces dans les fours et les empêchent de tomber pendant les cuissons) et les traitant comme une toile de tableau, des briques pour en faire des visages… Sur le corps d’un vase, il peignait une tête de bouc, sur le fond d’un plat une corrida tout entière. Ses céramiques, aujourd’hui célébrées par de nombreuses expositions dans le monde entier, ont dopé la production de faïence. Picasso était sans cesse entouré d’une véritable kermesse, il enthousiasmait les foules, passionnait les artistes.
Nous reviendrons sur l’influence durable de Picasso sur les productions du sud de la France : s’il n’a pas toujours été imité, loin de là, au moins son aura a-t-elle sans doute permis la permanence de l’usage de la faïence, par ailleurs si décriée par les potiers de grès.
Surtout, on parle peu de l’influence de Picasso sur ces derniers. Elle a été, pourtant, tout aussi importante, l’œuvre de Vassil Ivanoff en porte témoignage de façon visible, mais l’esprit contestataire qui a régné à La Borne dans les années 1950 peut être aussi, au moins pour partie, une conséquence de la libération des esprits entraînés à la suite de ce fol artiste.
Enfin, par-delà les océans, on doit reconnaître également la trace de son art sur les céramistes américains, en particulier Peter Voulkos1, même s’il préfère parler de l’influence qu’il a subie de la part des peintres américains de l’Action Painting, et de l’incontournable Bernard Leach : l’utilisation d’éléments tournés, détournés de leur vocation première pour participer à des constructions étranges, parfois rehaussés de traits peints, tout cela « sent » Picasso, très fortement. En outre, évidemment, et comme les Français contemporains, Voulkos adopta l’abstraction : les temps étaient mûrs pour cela, des deux côtés de l’Atlantique.
On ne peut tarder plus longtemps de l’évoquer. Son rôle a été considérable, il s’est même accru au cours des décennies envisagées et encore en 2003 La Revue de la céramique et du verre a réédité son fameux Livre du potier. L’ouvrage, sous son titre originel, A Potter’s Book, a été publié à Londres, par l’éditeur Faber and Faber, en 1940. Cela aurait pu être considéré comme une date fatale. Le contraire se produisit : en France au moins, le livre ne fut guère lu, mais provoqua la naissance d’un mythe. Comme du xvie au xviiie siècle on avait rêvé faire de la porcelaine justement parce que l’on n’en saisissait pas la nature, au xxe siècle, les potiers voulurent reproduire les grès émaillés chinois ou japonais, parce qu’ils n’avaient guère d’idée de ce à quoi ressemblaient les originaux. La donation Calmann au musée Guimet ne date que du début des années 1970 et auparavant les collections françaises dans ce domaine étaient misérables ; Christine Shimizu observe volontiers que les copies françaises de bols japonais pêchent toujours par les talons ; cela s’explique, les potiers ne connaissent les originaux que par des photographies, ils n’en voient pas les bases.
Mais quoi de plus attirant que ce que l’on imagine sans le connaître ? On parla longtemps de ce livre, qui circulait sous le manteau, comme d’un ouvrage pornographique2, que l’on ne comprenait guère (la première traduction, par l’éditeur parisien Dessain et Tolra, ne date que de 1973) car tous ces termes techniques étaient bien mystérieux.
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Picasso avait lancé Vallauris, qui devint un lieu d’accueil pour les talents les plus divers : Roger Capron, Gilbert Portanier, Jean Derval, Robert Picault et bien d’autres bénéficièrent ainsi de son aura. Tous aimaient la couleur, l’or. Leur installation ne se fit pas sans difficulté, face aux réticences des potiers locaux. Picasso avait été reçu dans la poterie de Madoura parce qu’elle était dirigée par Suzanne Ramié, une Lyonnaise d’origine, étrangère au lieu. Les potiers du cru avaient fui sa présence, sans imaginer son caractère providentiel.
En 1961, les artistes durent organiser « l’enterrement de la pièce unique » : s’emparant d’une statue en terre cuite recouverte d’encre de Chine, donc noire, L’Homme au poisson, œuvre de Raty acquise en 1996, ils la couchèrent sur un lit, entourée de cierges, et convièrent, à l’aide d’un faire-part de décès, les habitants de Vallauris pour les prendre à témoin des mauvais traitements qu’ils devaient endurer de la part des potiers traditionnels… La cohabitation entre des Vallauriens de souche et les artistes récemment arrivés ne se prolongea pas aisément.
Au demeurant, ces artistes avaient vu juste : ils étaient bel et bien défaits. Pas tant par les potiers locaux, qui ne pouvaient rien contre leur talent3, mais par l’évolution du goût. L’esthétique du grès triomphait, ils faisaient de la faïence. Ils s’adaptèrent et adoptèrent certains traits de cette esthétique, sans pour autant se trahir. Est-ce Gilbert Portanier qui eut le premier l’idée de recouvrir la terre rouge de Vallauris d’une couche d’engobe ferrugineux qui casse l’éclat de la faïence sous l’émail stannifère qu’elle contient, éclat désormais condamné par la mode ? Jean Derval produisit avec Jean-Paul van Lith (un peu plus jeune et plus récemment arrivé à Vallauris) des faïences enfumées au four à bois ; van Lith les rehaussa en outre de lustres retrouvés dans l’ancienne poterie des Massier. Chacun donnait dans un genre différent : Portanier était avant tout un peintre, un décorateur, un magicien des couleurs. Il put continuer d’exprimer sans retenue son goût pour la couleur grâce au soutien sans faille des amateurs allemands.
Jean Derval était un technicien de la céramique, fait assez particulier au milieu de ses amis, qui avaient adopté la céramique après des formations générales d’art décoratif. Sculpteur avant tout, il travaillait à la fabrique Madoura alors même que Picasso y créait ses fantaisies : nul doute qu’il ait aidé le maître à donner corps à son inspiration. Il savait tout faire et pouvait s’adapter : s’il changea plusieurs fois de types de production au cours de son existence, il ne se départit jamais de son style.
Quant à Capron, il se consacra à la fabrication manufacturée de carreaux. Son chef-d’œuvre a connut un sort fatal : ses carreaux, posés sur la façade de la gare maritime de Cannes, ont été dernièrement démontés…
Jean-Paul van Lith patienta, fit du verre, écrivit des livres, décora de la porcelaine, voyagea, créa les plus belles faïences ornées de rouge de cuivre sans se soucier des vicissitudes de la mode…
De fait, la faïence, tolérée dans le Sud, était totalement ignorée à Paris.
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D’où vient l’idée de réduire la céramique au seul emploi du grès le plus sommaire, le plus brutal, le plus agressif ? Nous en trouvons, en France, l’expression la plus pure à La Borne dans les années 1950-1980 à travers l’œuvre de bien des artistes, pas de tous néanmoins, le grès pouvant parfaitement se prêter à la sophistication.
Manfred Schneckenburger, dans L’Art au xxe siècle4, se pose clairement cette question, à l’échelle mondiale : d’où vient ce goût pour la sculpture informelle, pour l’expressionnisme abstrait ? Il propose ces éléments de réponse : « Les ancêtres en sont Picasso, dont La Chouette (1933) au plumage amorphe est d’un effet loqueteux, et Lipchitz, dont les jaillissantes ondulations de l’œuvre tardif jettent un pont vers des conceptions baroques. Les pères – c’est là un fait significatif – sont des peintres5. » Un peu plus loin : « La proximité du biomorphe et du minéral, de la croissance et de la décomposition tient du Zeitgeist [« l’esprit du temps »] dans lequel une nouvelle liberté créative se confond avec les évocations du matériau6. »
Cet auteur nous parle de l’influence des peintres et, somme toute, du désir de renier tout ce qui a constitué, jusqu’à cette date, « les beaux-arts ». Il cite ailleurs l’Américain Peter Voulkos. Est-il nécessaire d’en appeler à une influence si lointaine (quand a-t-il été connu en France ?). Celle, plus directe, de Picasso suffit ; il a lui-même influencé Voulkos. Notons que Lucio Fontana, à cette époque (1959-1960), créait des boules creuses en bronze7 qui ne sont pas éloignées de l’esprit de bien des pièces en grès de La Borne : le mouvement, pour étrange qu’il fût, n’était pas spécifiquement français.
Faut-il invoquer le Zeitgeist ? Certainement. L’origine germanique de ce terme ne fait que confirmer combien l’influence allemande grandissait alors dans tous les domaines : les conceptions du Bauhaus envahissaient alors les esprits (même si la céramique fut moins concernée par ce phénomène). Or, le grès est le matériau céramique germanique par excellence (avec la porcelaine et sa capitale, Meissen). Les Français n’ont cependant jamais adopté la « matière » des grès allemands, d’apparence inerte car trop purs, préférant conserver les pyrites et autres impuretés dans la pâte.
Il ne faut pas négliger, en outre, l’influence japonaise. Les expositions qui eurent lieu peu après 1950 au musée Cernuschi à Paris et au musée municipal de Vallauris8 permirent aux Français de découvrir les grès japonais de Bizen. Ils sont bruts, grands, impressionnants ; ceux qui les ont vus ne peuvent les avoir négligés, pourtant aucun céramiste n’en a jamais parlé.
On doit enfin penser au rôle de l’atmosphère politique de l’époque, dominée par l’idéologie marxiste. Ceci ne devait pas jouer en faveur des valeurs platoniciennes, ou chrétiennes. À un moment où l’esprit anarchiste s’imposait, chacun en rajoutait dans les exigences du dépouillement, puis de l’expressionnisme. Cette production prit la forme d’une véritable dictature : il devint « obligatoire » de l’admirer, condition sine qua non, selon le témoignage de Jean Girel, pour ne pas susciter le mépris et se faire traiter de « bourgeois ».
Le haut lieu de cette production fut, en France, le village de La Borne, situé dans le Cher, à l’emplacement de carrières à grès d’excellente qualité. Ce village, où cette fabrication relève d’une tradition ancienne aussi bien que vivante, attira à partir de 1940 de nombreux artistes, comme Saint-Amand-en-Puisaye l’avait fait à la fin du xixe siècle. Les Parisiens et autres Français vinrent par vagues successives y apprendre le métier auprès de maîtres qui en connaissaient les tours et détours, et la conduite de grands fours couchés, qui permettaient encore de fournir la demande des fermes et cuisines de la région. La production traditionnelle utilitaire était pourtant de moins en moins importante, même si les statuettes évoquant les figures populaires du village demeuraient une source d’inspiration séduisante.
Deux grandes périodes se sont succédé entre 1945 et 1980.
Les artistes les plus caractéristiques de cette époque, et à bien des égards les plus importants, furent les Lerat, Jean et Jacqueline. Il était sculpteur, elle était céramiste. Il vint à La Borne en 1941 à l’instigation de François Guillaume galeriste et collectionneur, qui lui demanda de revivifier la tradition des statuettes populaires anciennes fabriquées en ce lieu. Jacqueline Bouvet y arriva en 1943. Ils se marièrent en 1945 et s’installèrent dans l’atelier de Paul Beyer, dont ils prolongèrent, avec humour, la tradition. Ils restèrent à La Borne jusqu’en 1955.
Cette période, où la faïence jouait encore un rôle prépondérant, fut donc celle de l’influence populaire et chrétienne, les deux courants tendant vers la production des mêmes statuettes (des Lerat et de Derval, par exemple) foncièrement figuratives mais, parfois, déjà étrangement « décalées » par rapport à la vision strictement réaliste des choses. Pour tous, faïenciers et gens du grès, les Salons de l’imagerie et de l’art sacré, les revues L’Art sacré et Zodiaque (revue de l’abbaye bénédictine de la Pierre-qui-Vire) étaient des hauts lieux de promotion, non seulement de leurs œuvres (crèches, icônes, etc.), mais surtout du « bon goût » sobre, éloigné de tout « saint-sulpicianisme », prêchant l’admiration de l’art roman plutôt que du gothique (sans parler du baroque).
Certains traits étaient encore communs au grès et à la faïence : mêmes formes lourdes, même goût pour la dissymétrie. Mais qui aurait pu imaginer que l’on aimerait désormais les couleurs les plus sourdes, les matériaux les plus grossiers ?
À partir de 1955, les Lerat partirent pour Bourges, Jean devant enseigner la sculpture à l’école des Beaux-Arts. C’est alors qu’ils adoptèrent ce style très étrange, aussi naturaliste qu’abstrait. Qui peut ne pas voir, dans ces formes molles, un obèse gras au ventre nu, sexe dressé bien qu’il ne soit pas représenté9 ? Rémi Bonhert œuvre encore dans ce style. Bien des pièces d’Élisabeth Joulia sont de la même veine, quelles qu’en soient les différences, les allusions sexuelles étant d’ailleurs plus fréquentes chez cette dernière10. Point n’est besoin de donner ici la liste de tous ceux qui ont adopté ce genre : il était devenu commun à tous… dans toute l’Europe. Même Alain Girel n’y a pas échappé !
C’est que, après l’explosion de bonheur et de couleurs qui avait marqué l’après-guerre, était apparu dans toute la société un goût tenace pour le « rustique sinistre ». La mode était aux maisons de campagne aménagées en fermettes, avec poutres apparentes, murs couverts de toile de jute, lourdes tables de chêne et vaisselle en terre épaisse. Une institution comme la manufacture nationale de Sèvres souffrit beaucoup d’un tel engouement : son rôle est de produire le sommet de la sophistication, et celle-ci se voyait brutalement reléguée dans l’enfer du « mauvais goût ». Il fallut toute l’énergie de son directeur, soutenu par le talent de son directeur de fabrication Antoine d’Albis11 et de l’archiviste-bibliothécaire Tamara Préaud12, pour que la volonté d’André Malraux soit mise en œuvre et que, parallèlement à la traditionnelle production de semis d’or sur fond bleu de Sèvres, naissent de véritables œuvres d’art contemporaines. Parce qu’il s’agissait de créations, le dilemne rusticité-sophistication se trouva ipso facto contourné… Sur le moment, tout fut unanimement condamné, même les superbes Autruches en forme de bar d’appartement de Lalane.
Pour le reste : formes lourdes, épaisses ; finie la couleur, considérée comme clinquante et remplacée par des teintes obscures, du marron au gris, de l’écru au noir ; pas de décor. Et, effectivement, ces pièces échappaient en principe au problème du bon ou du mauvais goût : elles appartenaient à un genre qui, venu d’ailleurs, ne relevait pas de notre culture.
Les céramistes jouissaient alors de diverses structures leur offrant de confronter leurs travaux. Le Salon des ateliers d’art se tenait alors chaque année en janvier et en septembre, à la porte de Versailles, à Paris. Dans de grands hangars, l’essentiel de la production des artisans français s’exposait, à peine trié. La visite en était fascinante, l’exercice consistant à repérer le meilleur alors que le regard était toujours perturbé par la vision d’objets de moindre qualité. Comme ce salon avait été créé après-guerre par le syndicat des céramistes, ceux-ci y venaient nombreux, dans l’espoir qu’un galeriste leur permettrait d’accéder au rang d’artiste.
Autre rendez-vous, la Biennale internationale de Vallauris fut créée en 1968. Les catalogues permettent de suivre pas à pas l’évolution des goûts, à défaut d’offrir un regard sur celle de la production des maîtres, car ceux-ci supportaient mal d’avoir à se soumettre au jugement d’un jury. On doit souligner la présence, très pesante, des pièces venues de l’Europe de l’Est : celles-ci criaient à qui voulait les entendre leur désespoir. Ainsi flottait-il dans ces manifestations une sourde angoisse. En ces temps où le marxisme allait pour ainsi dire de soi, où la guerre du Viêt-nam contraignait à l’anti-américanisme, des objets inspirés par un vrai désespoir imposaient leur présence.
D’autres trouvèrent dans l’apparente monotonie du grès une sorte de nourriture quasi spirituelle : en communion avec les céramistes de l’Orient extrême, ils remirent et remirent encore sur le tour la terre en question, la travaillant dans sa totale nudité comme ne cessèrent de le faire les potiers de La Borne, renonçant alors à toute naïveté, à toute figuration. Certains recherchaient des formes et des surfaces pleines de vie. Non loin de là, à Saint-Amand-en-Puisaye, un Robert Deblander soumettait au contraire ses grès au rigoureux travail de l’épure.
L’exposition « La Céramique contemporaine » qui eut lieu à la bibliothèque Forney, à Paris, en 1978, présenta l’apogée de cette période. La couleur était bannie. Y figurait un corps en céramique brute, enfermé dans des nœuds en corde, œuvre de Michel Delmotte. On reproche souvent à la céramique de toutes les époques d’être en retard par rapport à l’évolution des arts contemporains. En ce temps, elle était largement en avance.
La rébellion, cependant, approchait. Elle eut lieu en 1977, au symposium de La Borne qu’avaient organisé les potiers du village, fédérés autour de la personnalité d’Alain Girel. Plus de cent vingt céramistes apportèrent des exemples de leur production, fabriquèrent de nouvelles pièces, dont ils remplirent un grand four rond couché capable d’en contenir environ trois mille ! La confrontation nord-sud fut violente. Les représentants de la manufacture de Sèvres furent agressés par ceux du grès, soutenus par d’autres. Fidélités et inimitiés perdurent depuis lors.
En 1981, l’exposition organisée par Yvonne Brunhammer à Paris, au musée des Arts décoratifs, « La Céramique contemporaine, source et courants », mit formellement les choses au point : les artistes nés après la guerre de 1939-1945 allaient prendre le pouvoir.
Cette exposition marquait la fin de l’hégémonie du grès ; on allait pouvoir l’aimer.
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En 1940 est donc paru un ouvrage à Londres rédigé par Bernard Leach : A potter’s book. Étant donné la date de sa publication, la langue dans laquelle il a été écrit (sa première traduction par l’éditeur Dessain et Tolra ne remonte qu’à 1973), il est presque évident qu’il n’a guère été lu en France avant d’être traduit. Pourtant, tous les témoignages concordent : il a exercé une influence capitale. En effet, Bernard Leach était d’origine sino-anglaise. Sa découverte des grès chinois, sa rencontre avec le Japonais Shôji Hamada l’avaient convaincu de l’immense supériorité des céramistes extrême-orientaux (son livre, technique, explique comment les imiter), mais aussi de la naturelle beauté des grès traditionnels anglais. Somme toute, il avait écrit ce que Paul Beyer avait fait. Tous les esprits étaient prêts à retenir sa leçon japonaise : elle fut retenue. Elle le fut d’autant mieux que Bernard Leach, avec une étrange impudeur et une grande innocence, a été un propagateur éhonté de ses propres théories : dans tous les ouvrages qu’il a publiés par la suite, il affirme sans ambages son génie et celui de Hamada. Comment persuader si l’on n’est pas persuadé soi-même ? Il est persuasif . Quant à la leçon anglaise, elle fut superbement ignorée : quel Français aurait-il l’idée de prendre des leçons d’art auprès de la perfide Albion ? Seuls les potiers de terre vernissée (tel Gérard Lachens) eurent l’idée heureuse de regarder à nouveau la terre vernissée médiévale française ; elle est somptueuse ; mais cela ne relève pas de l’influence de B. Leach.
À vrai dire, on ne l’avait pas tout à fait attendu : les Lerat à La Borne faisaient du grès au sel, du grès à la cendre comme en avait fait Paul Beyer avant eux. Ils connurent Leach au début des années 1950 : il vint les voir et leur donna un exemplaire de son livre. Pour eux, au contraire, c’est la disparition de toute couverte qui fut signe de profonde transformation.
En 1981, les émailleurs sont déjà nombreux dans l’exposition «Céramique contemporaine, sources et courants» du musée des Arts décoratifs de Paris. Ce mode d’expression permettait de récupérer la couleur, quitte à abandonner l’expressivité des formes. L’esprit de Decoeur commençait à renaître, sans référence à celui-ci, en général : rares furent ceux qui, tel Jean Girel, prirent la peine de venir voir les cinq cent soixante et onze vases de cet artiste que conservent les réserves de notre musée, afin de s’y confronter lors de l’exposition de Sèvres, en 1983, «De la terre et du feu, cinq potiers contemporains». Justement, cette année-là, sur ces cinq potiers – Champy, Montmollin, Ben-Lisa, Girel et Bayle –, quatre étaient des émailleurs, et ce fut splendide.
Les émailleurs connurent un réel succès, durable, de Daniel de Montmollin à René Ben-Lisa, de Champy (qui n’est pas qu’émailleur, lui sait réaliser des formes superbes) à Fouilhoux, en passant par tous les autres, dont Jean Girel. Il me semble qu’avec eux, les Français ont des rapports paisibles : les vases émaillés ne peuvent pas être laids, et l’on sait le souci de nos concitoyens de ne jamais faire de « fautes de goût ». Ce succès pourtant, ne fut pas aisément acquis dans le monde des céramistes (jaloux ?) : Jean Girel raconte encore, dans un éclat de rire, qu’il fut traité de « bourgeois ! » par les hommes du grès brut. Et il faut avoir vécu à cette époque dominée par l’idéologie marxiste pour savoir ce que ce terme contenait de mépris.
Tous les émailleurs ne furent pas des professionnels, et, avec un peu de travail, cela ne se voyait pas trop. La passion des « hautes températures » triomphait, rendue possible par l’acquisition de fours à grès. Désormais, il n’était plus nécessaire de lutter contre la nature pour monter en température : un tour de bouton et l’objectif était atteint ; il ne s’agissait plus que d’attendre patiemment (courageusement ?) le défournement. Quant aux couvertes elles-mêmes, elles étaient le fruit du perfectionnement des recettes fournies par Leach ; chacun les adaptait à sa manière, à son four, à sa passion. Les formes se voulaient pures ; dans beaucoup de cas, elles étaient simplistes. Autour des véritables céramistes, d’innombrables potiers nés des errements de mai 1968 se sont lancés dans des productions qui n’étaient même pas déplaisantes : qui ne risque rien n’aboutit à rien, qu’à l’ennui.
Cette passion toujours inassouvie, toujours fructueuse en recherches, en tentatives, en espoir, en désespoir eut un effet inattendu, et remarquable : lorsque, à partir de 1980, la mode en passa, elle avait permis à un nombre considérable de potiers-rêveurs impénitents, comme par inadvertance, d’apprendre en secret leur métier. À courir derrière les grès chinois, ils avaient appris leur technique, exactement comme un musicien fait ses gammes, une danseuse ses exercices à la barre. Quand ils voulurent exprimer leur art personnel, ils savaient tout faire, et purent le faire. Un Coville, un Lanos sont d’excellents exemples de cette transmutation d’émailleurs en artistes. Ils en sont tout heureux ! Et nous avec eux, bien sûr.
L’orientalisme mène à tout à condition d’en sortir ; on y venait, mais par une autre voie, orientaliste et libératrice, celle des « basses températures », le raku. Les artistes de l’émail qui dominaient leur technique pour en faire un mode d’expression sont, eux, toujours présents et créateurs. La virtuosité technique n’est pas encore réhabilitée, mais le temps viendra bientôt où l’on pourra la reconnaître, nécessairement.
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Il peut paraître assez étrange de mêler ces deux aspects de la céramique contemporaine : la virtuosité n’a pas fait bon ménage avec l’art de la seconde moitié du xxe siècle. N’étant pas affaire artistique à proprement parler, elle fut répudiée, considérée comme le vice favori du xixe, synonyme de mauvais goût, qu’il fallait vaincre grâce au « fonctionnalisme ». L’invention des installations date, au contraire, du xixe.
Et pourtant, bien cachée, la virtuosité subsiste, même s’il n’y est fait référence qu’au détour d’une phrase comme « c’est très difficile à faire » – Nicole Giroud parlant tout bas de son usage des étoffes trempées dans la barbotine. À moins que la difficulté apparaisse comme une évidence au non-céramiste, devant ces ailes de Bresson, par exemple, qui se dressent droites, comme si la gravité universelle n’existait pas…
Admettons que ce groupement d’artistes a quelque chose d’arbitraire… Il devient pertinent si l’on considère que ces œuvres ont une singularité propre, issue de leur commun désir d’outrepasser les limites habituelles de l’objet céramique et d’un même refus de la couleur, bien que ce refus relève davantage d’une époque – les années 1970-1980 – que d’une catégorie céramique, située entre virtuosité et installations. Il s’agit d’utiliser des matériaux nobles comme le grès ou la porcelaine, mais une porcelaine soigneusement dissimulée sous un jus noirâtre.
En ces temps où l’art choisit souvent le minimalisme, l’expression la plus discrète possible, certains se dotent donc de l’ambition d’envahir l’espace pour l’organiser, le dominer, parfois le rendre plus poétique, et subjuguer le visiteur… Les installations sont bien une caractéristique de l’art de ce temps. Tous les matériaux, y compris les plus incongrus, qui sont parfois les plus difficiles à conserver, sont utilisés. Parmi eux, les plus proches de la céramique furent les textiles. Dans les années 1970, on les vit dans de magnifiques installations.
Occupant le rôle que les musées délaissaient, certains artistes se spécialisèrent dans la présentation d’œuvres dans l’espace : tels des architectes, ils jouèrent de l’interaction inévitable entre l’espace, l’objet qui s’y trouve et le spectateur. Leurs installations prirent le pas sur la fabrication d’objets proprement dits, concourant ainsi peut-être à la tendance, en apparence toute naturelle, de partir du sol pour poser ces installations. En 1975, c’est un Tas en grès que Dejonghe posait par terre au dix-septième Salon de la jeune sculpture13. On peut en outre se permettre une hypothèse : ces installations constitue sans doute la phase finale d’une production majeure de la précédente décennie, celle des « muraux », installations pariétales naturellement verticales, auxquelles le 1 % de la construction avait donné naissance14.
Pour un musée comme celui de Sèvres, où le manque d’espace est structurel, les meilleures installations sont celles que l’on peut exposer à l’extérieur, à l’exclusion de toute considération esthétique15 et au détriment même des conditions de conservation, contrairement à toute déontologie.
L’installation des Meules dormantes de Dejonghe, dans l’escalier du musée, où elles évoquent des trophées antiques, est de ce point de vue parfaitement satisfaisante. La Chaise de Nicole Giroud, acquise en 2005, a été plus complexe à installer en raison de l’extrême fragilité de l’oeuvre. Pour Agathe Larpent et Daniel Pontoreau, la solution reste à trouver.
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Quelques originaux ont continué avec constance, durant ces trente dernières années, à utiliser les « basses températures », donnant à leurs contemporains le sentiment de « sous-cuire » la terre. Étranges personnages qui n’ont pas cédé, alors que la pression du céramiquement correct était si forte. Puissantes personnalités, si rares qu’elles ne correspondent pas à un courant, et ne peuvent être définies comme un groupe.
Ils n’ont, a priori, rien en commun : l’un travaille la terre à la masse, la ploie, la brise ; l’autre la fait toute fine, toute mince et la dote d’une surface brune, très proche du grès ; un autre encore joue avec la glaise pour lui donner tous les aspects possibles et en faire des figures si naturalistes qu’elles surprennent. La terre, matériau le plus souple qui soit, est celui de la liberté, du bonheur. Les sculpteurs l’emploient pour en faire des esquisses ; les femmes la maîtrisent sans difficulté.
Personnalité entre toutes, il y eut Pierre Bayle. Sa technique était complexe ; il ne l’adopta pas par esprit de facilité, mais parce qu’elle le reliait aux maîtres céramistes, les plus anciens à avoir œuvré sur le sol de son pays : les Grecs et les Gallo-Romains. Ses terres engobées présentent une surface dont le résultat tient beaucoup au hasard de la cuisson. En cela, il s’est parfaitement intégré dans le paysage de l’art céramique contemporain. Ce que les autres demandaient aux « hautes températures », il l’obtint de l’enfumage, accompagnant les partisans du raku.
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Le début des années 1980 fut marqué par une révolution céramique. Elle se fit en même temps que l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Pour les céramistes, elle fut libératrice. Le « passage de l’ombre à la lumière » se fit étrangement par l’abandon de la dictature du grès, grâce à la découverte d’une nouvelle technique, celle du raku. Fini le terreux, le marron, le terne. Place aux couleurs les plus transparentes, les plus gaies. Le raku permit de redécouvrir les basses températures et, avec elles, le jaune paille et le rose, le lustre, en un mot le bonheur. Les « hautes températures » furent ainsi balayées par tous ceux qui les avaient pratiquées par défaut : Jacky Coville, Michel Lanos et bien d’autres qui ne demandaient qu’à découvrir leur personnalité propre. Ils en tirèrent un avantage certain : la pratique du grès, la tenace volonté d’en maîtriser les difficultés réelles, leur avait donné un savoir-faire, base nécessaire à toute expression personnelle.
Dès les années 1970, Camille Virot l’avait adoptée mais, de sa couverte crème sur une terre noire, il lui avait donné le visage de l’Afrique, où l’on pratique par nécessité les cuissons rapides : ce ne fut pas « la » révolution. Ses pièces s’inscrivaient sans peine dans la tonalité des grès de ce temps.
Le raku est bien une technique d’origine japonaise : elle permettait aux paysans de se fabriquer à moindres frais une poterie aussi vite faite que jetée, du fait de sa fragilité. À la fin du xvie siècle, des maîtres de la cérémonie du thé16 la remarquèrent et obtinrent de paysans doués des efforts particuliers pour des créations de qualité, conservant néanmoins une spontanéité, gage de réussite. Ainsi, depuis cette époque, les membres de la famille Raku – le nom de cette technique est en réalité celui de ses praticiens les plus éminents, installés à Kyôto – en poursuivent la création de manière inspirée.
Cette technique consiste à façonner la pièce, à l’engober, la biscuiter à une température autour de 1 300 °C, durant environ six heures, puis à l’émailler, la recuire très rapidement et la sortir du four brutalement. Si l’on veut la noircir, il faut la jeter immédiatement dans un milieu réducteur (feuillages, journaux…) : la terre en est noircie mais les émaux sont variés, brillants, aussi séduisants que possible. Si on la trouve trop obscure, on peut l’éclaircir à nouveau, au chalumeau ou au cours d’une nouvelle cuisson oxydante. La vertu de cette technique réside en sa rapidité. Pour faire une pièce en grès, il faut parfois un mois ; ici, vingt-quatre heures tout au plus suffisent.
Comme toute technique, elle n’est essentiellement ni bonne, ni mauvaise : tout vient de ce que l’on en fait.
Après le japonisme du xixe, « l’anglo-sino-japonisme » induit par l’influence de Bernard Leach, voilà que les Français découvraient une nouvelle manière de se replonger dans un nouveau bain japonais, qui leur était, de toute évidence, encore plus étranger que les précédents. Certains adoptèrent effectivement un nouveau japonisme, plus ambitieux encore que les précédents, puisque comportant une dimension spirituelle17. Alain Vernis tend ainsi, par exemple, à recréer des imitations les plus parfaites de ces fameux bols de la cérémonie du thé. Quand le modèle est extrême-oriental, on admet toujours en Europe la posture du copiste, parce que l’on y voit une quête qui relève de la mystique. Ainsi, le céramiste Antonin-Henri de Bourbon parlait-il de « la voie du bol » et ajoutait : « lors de la cérémonie du thé, le bol circule comme une coupe de communion18 », dans un rapprochement contestable avec la messe.
De fait, l’Extrême-Orient promeut l’art de la copie avec autant de calme certitude que l’Occident ne veut reconnaître pour artistique que l’absolue nouveauté.
Réduire le raku à son origine japonaise, c’est oublier les fantaisies de l’histoire, car il n’a pas été reçu directement du Japon. En 1982, Jean Biagini, professeur à l’école supérieure des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, y fit venir l’Américain Paul Soldner qui effectua, devant deux cents personnes, une cuisson de ce type. Alors qu’il faut souvent près d’un mois pour qu’une pièce en grès émaillé se révèle à son auteur, là, en un laps de temps minime, elle fut réalisée, cuite, achevée. C’était un retour à la liberté : on pouvait tout faire, essayer, casser, recommencer jusqu’à être satisfait de son œuvre.
Le raku n’était pas un japonisme de plus. Il n’impliquait donc pas nécessairement le recueillement, il pouvait être l’expression de la création contemporaine, de la spontanéité heureuse et facile.
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© Photo RMN - M. Beck-Coppola
La céramique utilitaire est aussi ancienne que l’humanité, mais la représentation plastique ne l’est pas moins – n’a-t-on pas retrouvé en Moravie des figures humaines datant de 30 000 ans avant Jésus-Christ ? – qui répond à d’autres aspirations.
Historiquement, en effet, la terre, travaillée en ronde bosse, a souvent servir dans le monde occidental à représenter des saints et des saintes, et ce depuis les retables des Della Robbia.
Au xviiiE siècle, elle répondit à différents usages purement laïcs, en apparence simplement décoratifs, destinée en réalité à remplir une fonction mondaine : les surtouts, ces décors de milieu de table, constituées de statuettes en biscuit de porcelaine inspirées des pièces de théâtre alors à la mode, nourrissaient les conversations.
Nos contemporains pratiquent encore la ronde-bosse. De façon informelle souvent, ils l’utilisent pour en faire des installations. Des artistes, somme toute plus exigeants, osent se confronter à la réalité pour en donner leur vision. Lorsqu’il s’agit de figures humaines, la difficulté est à son comble. Jacqueline Lerat le dit bien19 : si pendant une période, durant les années 1945-1955, elle put se risquer à la statuaire populaire pour adosser ses propres figurations, la découverte et l’assimilation des horreurs de la guerre rendirent ces représentations impossibles. L’homme, rongé de l’intérieur par une puissance maléfique que l’on veut à tout prix croire étrangère à soi, mais que l’on sait bien constitutive de chacun de nous, ne pouvait plus se regarder en face. Jacqueline Lerat pouvait faire des allusions explicites au corps humain ; elle le faisait désormais à partir de formes creuses, tournées, vides, aux surfaces intimement ravagées.
Pour la plupart des céramistes, il fallut attendre le temps d’une génération pour que cette figuration redevienne possible et, comme toujours, certains n’ont heureusement pas attendu pour donner corps à leur talent. Parmi eux, on pense notamment à Françoise Carrasco ou aux Raymond.
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© Photo RMN - M. Beck-Coppola
Tous les tabous, à notre époque, sont faits pour être repoussés ; celui du décor l’a été dans les années 1970. D’abord par les peintres abordant la céramique : Pierre Alechinsky est, à ce titre, un exemple emblématique. Par des céramistes-peintres ensuite, tels Lanos et Varlan, qui utilisent le grès – matériau céramique qui véritablement incarne leur temps – en le couvrant d’émail ou d’engobe blanc pour en faire un surprenant support à peinture. Anne Kjærsgaard leur avait, à sa manière, ouvert la voie en montrant que le décor sur un volume ne connaît qu’une loi, celle du volume. Varlan, en véritable peintre, la détourne parfois.
Certains n’ont jamais renoncé au décor, au premier chef les céramistes du sud de la France, dont Gilbert Portanier et Jean-Paul van Lith ; Alain Girel, encore plus. Il ne s’en écarta qu’un court moment, pendant sa période bornoise, et encore à peine. Il adopta même sciemment ce que tous les autres avaient fui comme le mal absolu : l’outrance du « mauvais goût » ! Il acquit des décalcomanies en masse et en couvrit ses vases. Saint-Sulpice était laissé loin derrière.
Autrement dit, le décor est encore souvent ressenti comme un défi au goût. Lentement, ce phénomène recule et continuera vraisemblablement à reculer, parce que toute vague de la mode est emportée par la suivante, parce que l’empire du design, donc la prédominance de la forme sur le décor, est maintenant si ancienne qu’il faut bien qu’elle s’achève.
L’amour du décor se rencontre essentiellement chez ceux qui ont un tempérament altruiste : Alain Girel créant les symposiums de La Borne, en 1977 ; Jean-Paul van Lith dirigeant les Salons de la porte de Versailles, se battant avec courage et générosité au ministère de la Culture pour la sauvegarde des métiers de l’art.
Auteur : Antoinette Faÿ-Hallé
© Réunion des musées nationaux - 2007