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Le musée « céramique et vitrique » fut créé par Alexandre Brongniart dans les toutes premières années du xixe siècle afin de constituer une documentation complète concernant les techniques de de la céramique de toutes les périodes et de tous les pays. À son époque, il n’existait pas de fabrication en dehors des manufactures. Faire de la céramique ne se concevait pas sans des manouvriers qui préparaient les pâtes, des mouleurs, des tourneurs, des émailleurs, des retoucheuses, des peintres, des chefs de four (souvent le patron) et des marchands, une même personne jouant souvent plusieurs rôles à la fois.
Brongniart commença à réunir des pièces provenant des manufactures contemporaines, au point que les collections du musée national de Céramique, fondé officiellement en 1824 à son initiative, peuvent servir de points de repère pour dater les productions de son temps, même quand ces productions n’étaient pas, techniquement parlant, novatrices. La collection rassemblée par le musée au cours de ces vingt dernières années prolonge fidèlement l’action, sinon les écrits, de cet illustre fondateur.
En 1841-1844, Brongniart publia à Paris le Traité des arts céramiques ou des poteries, considérées dans leur histoire, leur pratique et leur théorie. L’année suivante, dans la préface de son catalogue, il transmit sa philosophie de créateur de musée, avec des propos qui laissent rêveurs lorsqu’il explique qu’il est agacé par le désir de ses visiteurs de pouvoir admirer les porcelaines de Sèvres, alors qu’il veut seulement leur montrer « comment » se fait la céramique, et non les pièces elles-mêmes.
Ses successeurs cherchèrent par la suite à donner satisfaction aux visiteurs du musée : le premier conservateur, nommé à ce poste par Brongniart, Désiré Riocreux, poursuivit son œuvre jusqu’à sa mort, en 1872, mais il commença d’acquérir des pièces pour des raisons historiques (pour montrer en quoi avait consisté la production de tel ou tel centre, par exemple) ou esthétiques. Les conservateurs suivants prolongèrent sa politique et, à partir des années 1870, les acquisitions de pièces pour des motifs purement techniques furent désormais le fait du musée parisien des Arts et Métiers.
D’autres critères purent entrer en ligne de compte, à l’exemple des 1 752 pièces de la collection Grollier, entrées au musée en 1909. Le baron de Grollier avait choisi ces œuvres en fonction de leurs marques ; ainsi le musée de Sèvres possède-t-il une superbe collection de porcelaines vénitiennes du début du xviiie siècle, qui portent de magnifiques initiales allégrement dessinées.
Chaque génération depuis deux siècles a ainsi laissé la trace de sa vision propre de la céramique, l’une s’intéressant à l’archéologie, l’autre au déroulement historique… laissant toutefois de côté certains aspects, comme le point de vue sociologique ou iconographique. Dans tous les cas prime l’intérêt pour la céramique, par elle-même et pour elle-même.
Après cette période (1878-1914) bien représentée au musée de Sèvres, la période suivante n’a pas connu les mêmes occasions favorables. Avec la séparation de la manufacture de Sèvres, les reversements de celle-ci disparurent presque. En effet, en 1927, la manufacture nationale de Sèvres obtint un statut d’indépendance financière, pour pouvoir gérer librement ses investissements. Hélas, deux ans avant la crise de 1929, la date était mal choisie. Elle dut, en 1934, renoncer à la gestion de son musée, qui fut désormais placé sous la tutelle de la Direction des musées de France et sous la responsabilité du conservateur en chef du département des Objets d’art du musée du Louvre. Les acquisitions du musée en souffrirent : les crédits des musées nationaux étaient peu importants et les critères d’appréciation de l’art contemporain sont aléatoires.
Deux commissions siégeant successivement furent, jusqu’en janvier 2004, en charge des acquisitions des musées nationaux : d’abord, le Comité des conservateurs, composé d’une trentaine de membres (responsables des musées nationaux et des départements du musée du Louvre), se réunissant une fois par mois sous l’égide du directeur des musées de France ; ensuite le Conseil, véritable commission décisionnelle par délégation du ministre de la Culture, composé de donateurs, personnalités diverses et représentants des grands corps de l’État.
Les crédits étaient apportés par les droits d’entrée dans les musées nationaux, abondés par les bénéfices réalisés par la Réunion des musées nationaux et par des subventions du ministère de la Culture. Lors des réunions mensuelles du Comité consultatif, chaque conservateur proposait les acquisitions qui lui paraissaient souhaitables, le vote ayant lieu en fin de séance. En principe, les acquisitions de chaque musée étaient totalement indépendantes de l’apport en droits d’entrée qu’il représentait dans le budget commun. Les objets dont le prix était inférieur à cent mille francs n’étaient pas soumis au Conseil : les acquisitions étaient alors effectuées par le seul Comité des conservateurs. Ce fut le cas de presque toutes les acquisitions de céramique contemporaine du musée national de Céramique jusqu’en 2004.
Le – relativement – faible coût des céramiques contemporaines ne joue pas en leur faveur parce qu’il est plus facile de plaider qu’un objet onéreux est un objet important, et aussi parce que nous savons tous que le véritable coût des collections de l’État est celui de leur conservation dans le temps, puisque ces objets sont inaliénables. Même lorsque l’artiste est reconnu, comment nier que le choix effectué relève de quelque hasard : comment être certain qu’il ne réussira pas un meilleur objet lors de la cuisson suivante ? Comment savoir si un objet un peu mystérieux, car vraiment objet de création et non de répétition d’une tradition, mérite d’être inscrit dans la lignée de l’histoire de la céramique ? Il faut environ cinq ans pour qu’un objet trouve sa place dans une histoire toujours fluctuante. Et si l’on n’achète pas le contemporain immédiat, rien ne s’arrange : vieux d’une quarantaine d’années (c’est l’âge qu’ont les productions de jeunesse d’un artiste qui a commencé à œuvrer après la guerre de 1939-1940), les objets sont dans « l’âge ingrat » : ils n’ont plus le charme de la nouveauté et n’ont pas encore reçu l’onction du passé…
Un regard professionnel doit savoir distinguer les objets de qualité. Devant une commission d’achat s’élève une autre difficulté : si l’on parle du « beau », chacun se demande si l’objet serait du plus bel effet… dans son appartement personnel ! L’expérience prouve que les refus sont alors fréquents. Il devient donc plus facile de prôner l’acquisition d’objets relevant de l’expressionnisme : si l’on peut toujours exiger de plus belles œuvres d’art, on n’ose point en réclamer de plus agressives. Ceci explique sans doute le succès de cette tendance profonde de l’art du xxe siècle.
Instruit par l’expérience, Hubert Landais, directeur des musées de France lorsque Antoinette Hallé prit ses fonctions de chef d’établissement, en 1982, appuya ses demandes, permettant à presque toutes de connaître des décisions favorables. L’acquisition de céramiques de Francine Del Pierre, dès 1982, fut le premier achat de céramique contemporaine. Il fut suivi par un don de Fance Franck.
Après le départ à la retraite d’Hubert Landais, en 1987, la situation changea de manière radicale, car les directeurs suivants, non issus du corps des conservateurs, n’eurent guère la capacité d’imposer une décision à une commission qui se trouvait dans l’incapacité de répondre à des demandes inédites : aucun autre musée national n’était concerné par l’art contemporain, le musée national d’Art moderne relevant désormais d’une autre structure administrative. Si bien que dans les années 1987-1994, on en vint à une moyenne de quatre objets contemporains refusés pour un seul accepté. Le Comité des conservateurs ne remplissait donc plus son rôle pour ce qui concerne la céramique contemporaine, tout en admettant parfaitement la nécessité théorique d’acquérir de telles oeuvres pour le musée de Sèvres.
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En 1996, Françoise Cachin, alors directeur des musées de France, décida de confier à la direction du musée national de Céramique la gestion d’une enveloppe financière annuelle permettant l’achat de céramiques contemporaines sans devoir consulter le Comité des conservateurs, l’acquiescement de celui-ci se faisant désormais a posteriori, par le vote de nouveaux crédits l’année suivante.
Depuis cette date, le musée a donc pu acquérir sans contrainte une collection de ces artistes céramistes dont le mode de travail est une véritable révolution par rapport à toutes les conditions traditionnelles de production céramique. Leur grand ancêtre fut Jean Carriès (1855-1894) qui, à la vue des grès japonais présentés à Paris lors de l’Exposition universelle de 1878, voulut les imiter d’une part et en utiliser, d’autre part, la technique pour créer des œuvres résolument européennes (la porte de la bibliothèque destinée à contenir le manuscrit du Parsifal de Wagner, en l’occurrence : restée inachevée, des éléments en sont conservés par le musée du Petit Palais, à Paris). Bien des artistes le rejoignirent, l’imitèrent, prolongèrent son œuvre après sa mort. Les collections du musée de Sèvres, dans ce domaine, sont relativement importantes, grâce à des achats effectués à l’époque par la manufacture de Sèvres et grâce aux acquisitions de l’État pour le musée du Luxembourg. Ces collections furent ensuite reversées au musée national d’Art moderne, qui en déposa un grand nombre au musée de Sèvres dans les années 1960, avant de se séparer, en 1981, des objets les plus remarquables en faveur du musée des Arts décoratifs, bien que celui-ci ne soit pas un musée national.
Ainsi le musée a-t-il pu acquérir cinq cents pièces en une vingtaine d’années et cette collection n’est pas plus achevée que l’histoire de la céramique elle-même. Si certaines lacunes restent à combler, ce fonds est unique en son genre : parmi les musées français, seul le musée Joseph-Déchelette, à Roanne, a constitué à grand peine une collection importante de céramique contemporaine.
Depuis 2002, les collections se sont enrichies (dons et achats confondus) d’une quarantaine de céramiques de Robert Deblander, qui représente dignement l’histoire du grès au cours de ces cinquante années. Pour le Midi, la généreuse donation d’une centaine de pièces (céramique, porcelaine décorée et verre confondus) de Jean-Paul van Lith, augmentée d’achats importants, joue le même rôle.
Cette politique d’acquisition n’aurait pu être mise en œuvre sans l’appui de Daniel et Michèle Sarver. Leur galerie ouverte de 1976 à 2003 a été le centre parisien des collectionneurs, le point de jonction entre les artistes et les amateurs exigeants. Daniel Sarver, sait mieux que tout autre suivre l’évolution des artistes, dans chaque « genre », exiger d’eux le meilleur, refuser le médiocre.
D’autres galeries, au premier chef la galerie Capazza à Nançay et la galerie Pierre à Paris, de fondation plus récente, ont également participé à ce travail.
Aussi, pour chaque pièce, le mode d’acquisition qui a permis son entrée au musée est-il systématiquement noté dans l’inventaire.
D’autres galeries encore, disséminées dans toute la France, ont accompli un travail admirable, ce qui explique en partie pourquoi le musée a privilégié les pièces achetées à des galeries plutôt que directement auprès des céramistes, qui ne sont pourtant pas sous contrat.
Le Comité des conservateurs, supprimé en janvier 2004, a été remplacé par des commissions d’achats spécifiques pour chaque musée ou groupe de musées. Le musée national de Céramique à Sèvres relève désormais d’une commission qui regroupe également le musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, le musée de la Renaissance du château d’Écouen, le musée national Adrien-Dubouché, à Limoges. Cette commission, ainsi que le Conseil des musées de France, dont le rôle a été maintenu, a déjà bien voulu acquérir tout un ensemble de grès de La Borne pour le musée de Sèvres et accepter la fabuleuse donation que M. Maurice Lambiotte a effectuée en 2004 en faveur du musée de Limoges.
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Un bref survol des expositions organisées au xxe siècle par le musée montre l’intérêt croissant manifesté par celui-ci envers les créations actuelles.
En 1963, Henry-Pierre Fourest, conservateur du musée, sous la direction de Pierre Verlet, conservateur en chef du département des Objets d’art du musée du Louvre, consacrait une exposition aux grès contemporains. Que s’y passa-t-il pour que H.-P. Fourest ait pu en conclure définitivement que « la céramique française a disparu en 1789, avec la Monarchie française » ? Nous n’avons à ce sujet qu’un seul témoignage oral, celui de Robert Deblander, qui, dans un éclat de rire, déclara : « Mais nous avons été odieux. »
Et l’accueil fait à cette exposition de céramique, à l’intérieur même des musées nationaux, a sans doute été plus que réservé : l’art contemporain ne correspond jamais à ce que l’on attend de lui !
En 1968, le musée accueillit une exposition des faïences de Francine Del Pierre, voulue par André Malraux. Le malentendu fut complet : l’artiste, décédée durant l’exposition, et ses amies attendirent en vain un achat, ; le conservateur du musée espérait, pour sa part, un don en remerciement.
Depuis le début des années 1980, plusieurs expositions de céramiques contemporaines notables se sont succédé. L’exposition « De la terre et du feu : cinq potiers contemporains », en 1983-1984, permit de mieux connaître l’œuvre de Pierre Bayle, René Ben Lisa, Claude Champy, Jean Girel et Daniel de Montmollin. Par la suite, la place de la céramique contemporaine se précisa comme le montre le catalogue Nouvelles acquisitions (1979-1989), publié en 1989 à l’occasion d’une exposition, qui comptait quatre-vingt-dix-sept céramiques contemporaines. En 1999-2000, l’exposition « L’Art de la terre vernissée du Moyen Âge à l’an 2000 », confrontait la production historique et la production contemporaine. Celle-ci connaît aujourd’hui un essor certain et le musée de Sèvres fit alors l’acquisition de la majeure partie des pièces actuelles exposées. Enfin, les expositions des œuvres de Roger Capron en 2003 et de Jean Derval en 2004 ont montré ce qu’a été le style des années 1950 dans le sud de la France.
À la suite de l’exposition « Terre contemporaine, terre de liberté. Cinquante ans de céramique française (1955-2005). Une collection nationale », présentée en 2005 au musée de Céramique, ce catalogue en ligne marque une nouvelle étape en vue de mieux faire connaître les artistes et leurs œuvres. L’ensemble des acquisitions de céramique contemporaine effectuées par le musée national de Céramique au cours de ces vingt-cinq dernières années, soit plus de cinq cents pièces, sont répertoriées ici, qu’il s’agisse d’achats, de legs, de dons, de reversements, de dépôts… Sous forme brève, les notices qui reprennent en partie les informations du catalogue de l’exposition sont complétées par les biographies des céramistes.
La céramique s’est fait l’écho en temps réel des crises historiques : dans les années 1945-1950 la production resplendit de la paix retrouvée. Elle est suivie par un long tunnel de deuil, qui s’assombrit sans cesse de 1955 à 1980, lorsque la réalité de la guerre est connue. Puis surgit un regain de bonheur avec la génération née en 1945 qui pouvait jouir de la vie sans complexe particulier.
En temps réel par rapport à la réalité historique, mais avec un décalage par rapport aux « arts majeurs », ou plutôt par rapport à l’art officiel, la céramique a abandonné la tristesse pratiquement au moment où les ceux-ci s’adonnaient à la dérision, moteur essentiel de leur inspiration. Mais cette dérision est ancienne, elle date de 1918… et depuis ce 11 septembre fatal où le xxe siècle a pris fin, emporté dans la chute des deux tours new-yorkaises, la dérision semble dépassée.
Auteur : Antoinette Faÿ-Hallé
© Réunion des musées nationaux - 2007